L’escargot est un gastéropode, du grec podos et gaster, pied et ventre. Il semble qu’il ait l’estomac dans les talons, ceci, en permanence, alors que l’homme ne présente cette particularité que de temps en temps, et ceci plus souvent pour certains que pour d’autres.
Et si l’on dit qu’il n’y a qu’une dent dans la machoire à Jean, on peut le constater également dans la bouche de l’escargot. Sa langue, appelée radula est recouverte de petites aspérités cornées, véritable rape à légumes. Cette langue est mortelle pour toute végétation qui se trouve sur son chemin.Le colimaçon est la hantise des jardiniers, comme la langue des hommes est le cauchemar de l’homme.
Il est vrai que la langue des hommes est souvent tout aussi mortelle, mais pour eux-même. L’homme tue ses congénères avec sa langue. C’est à croire qu’il en a besoin, autant que l’escargot de légumes. Il faut dire que sa langue est la seule arme dont il dispose naturellement, comme le scorpion de son dard. Il faut donc le comprendre, et admettre qu’il s’en serve, autrement que pour lécher ou avaler, autres activités humaines.
Pourtant, quand il lèche, il caresse , dans le sens du poil,(les humains ont des poils), et il avale pour se nourrir, ce qui n’est pas critiquable. Avec sa langue il dit aussi des mots d’amour, ce qui n’est pas le cas de l’escargot, (du moins jusqu’à preuve du contraire).
Pour traîner encore un peu dans cette zone si interessante de la bouche, chez le colimaçon et chez l’homme, voyons ce qu’ils absorbent.
Comme l’escargot prend le goût du thym lorsqu’il en est gavé, l’homme avale tout ce qu’il rencontre sur son chemin et tout ce qu’on lui présente , que ce soit bon ou mauvais, sans discrimination, avec une gourmandise que lui envierait l’escargot. Il s’imprègne de façon définitive de ses origines et de ses expériences, c’est -à-dire de sa culture. Il porte tout à sa bouche. Du bébé au vieillard , tout y passe, du bonbon à la cigarette !
Lui-même n’est pas mangé, bien sûr, (quoique !) mais il est possible de le goûter dans toute la finesse de sa saveur en le priant de se laisser approcher, prudemment, avec sollicitude, délicatesse et générosité. Alors il se dévoile et livre ses secrets les plus intimes, laisse s’échapper les fragances les plus savoureuses. Mais comme l’escargot qui rentre ses cornes à la moindre alerte, au moindre contact imprévu, il se renferme dans sa coquille, et nous restons sur notre faim.
Et il avance, à une allure d’escargot, sereinement (ou non), vers un but inconnu de lui , mais qu’il est certain de devoir atteindre, et qu’il nomme pour le moment l’immortalité.
Il est étonnant ! Il reste d’ailleurs encore à l’étude tant il est mystérieux, en tout cas tant qu’il n’aura pas mangé la feuille sur laquelle il s’est installé depuis bien longtemps .Des millions d’années paraît-il.
Là où je reste stupéfaite, pour ne pas parler vulgairement, c’est que l’appareil génital du colimaçon se trouve juste derrière la tête, qu’il a, à l’évidence, toute petite. Serait-il obsédé par le sexe ?
Je n’ai pas encore recueilli les confidences d’un escargot, mais je sais de source sure qu’il est hermaphrodite. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il possède les deux sexes, et peut s’en servir à loisir, quand il trouve un partenaire. Mais oui, il a besoin d’un partenaire, comme l’homme.
Mais l’homme lui aussi a le sexe assez près de la tête, et même quelquefois dans la tête .Mais il n’en a qu’un !.Et cela le met en rage. Si bien qu’il confond réflexion et sexualité ,qu’il en arrive, à notre époque, à laisser le sexe diriger le monde, quitte à le maquiller pour qu’il semble intelligent, raisonnable, et même génial .
Est-ce que cette dérive ne serait pas l’obsession de retrouver le sexe qu’il n’a pas , lui,, c’est-à-dire retrouver l’unité primordiale ? Qui sait ?
J’interrogerai un escargot, un jour de pluie, quand il sortira ses cornes, et qu’il sera dans le meilleur de sa forme, pour savoir si cette idée est idiote ou non.
Je dois attendre le printemps, quand il sortira de la terre, où il aura hiberné.
Certain hommes aussi retournent de temps en temps au sein de la terre, pour explorer ou pour réfléchir, ce qu’ils font beaucoup mieux qu’à la surface. Il est vrai que la lumière du jour est quelque fois trop violente, et que les sens sont tellement sollicités qu’ils s’exaspèrent , et troublent la perception du monde.
L’escargot a un avantage, c’est qu’il ne voit que la lumière, et donc n’est pas distrait par les détails de contours et autres fioritures. Il voit l’essentiel, ce qui explique peut-être son extrême prudence. Et pourtant, ses yeux sont tout au bout de ses cornes, comme de petits télescopes, sortis ou rentrés, à loisir,et donnent à penser qu’ils voient mieux que les autres tout ce qui se passe dans le monde. La lumière qu’il perçoit est blanche comme celle de la lune. Il a été choisi, dans l’ancienne religion mexicaine comme symbole lunaire, et abrite le dieu de la lune dans sa coquille. Ses cornes apparaissent et disparaissent , comme la lune.
Alors que le maçon, et non le coli, cherche la lumière, et se trouve quelque fois en difficulté. Il patauge entre le noir et le blanc, comme entre l’ombre et la lumière. Peut-être a-t-il les téléscopes tournés vers l’intérieur ? Soyons indulgent, il fait au mieux !
A propos d’hibernation, le colimaçon rentre dans la terre, son refuge, mais dans sa coquille, dans laquelle il s’enroule entièrement, de la tête au pied, ce qui n’est pas trop compliqué, comme nous l’avons vu plus haut. Il construit sa coquille petit à petit, et il trouve donc toujours sa place à l’intérieur. Il ne demande jamais rien à personne, et se suffit à lui-même, comme dans le conte d’Andersen, « l’escargot et le rosier ». Textuellement, il dit : Moi, je n’ai besoin que de moi !.
On croirait entendre les hommes !
L’élément indispensable, primordial, essentiel, pour l’escargot ,est l’eau.
Il se cache du soleil, il se protège de la sécheresse en fermant sa coquille grace à un opercule hermétique , quand il sent le danger.Il contient le minéral, dans celle-ci, toute faite de calcaire.
C’est un nomade , et comme tel, n’est pas très bien accepté, là où il s’installe. Il est chassé quelquefois brutalement, méchament, ou éliminé, comme un animal nuisible.( à cause des salades !)
Chez les hommes, les nomades, appelés Roms, ou Gitans, ou Tziganes sont également chassés et refoulés. Il est très mal vu de déménager sans arrêt, de sillonner le monde. Pourquoi ?
Il semble que l’immobilité, souvent confondue avec stabilité est reconnu comme critère de sagesse, de maturité. Un individu normalement évolué doit s’installer définitivement dans une activité et une résidence fixe. Il doit commencer et poursuivre jusqu’à la mort un plan de carrière, se déclarer juge, médecin ou musicien, choisir son partenaire, et regarder droit devant lui, sans dévier de sa course. Car il s’agit bien de course, aveugle et restrictive. D’où la mise au ban de la société, des S.D.F…. et des escargots.
Nous sommes si proches de l’escargot qu’il s’est introduit dans notre oreille..Il s’est installé dans notre oreille interne, dans la cochlée, et nous distille sons et musiques. Ce limaçon déroule sa spirale à loisir, en toute quiétude, bien au chaud, au cœur de notre crâne. Sa proximité immédiate avec le cerveau laisse à penser qu’il pourrait communiquer et traduire toutes les informations venant du dehors, et même du dedans. Il sert de sonde, en quelque sorte, ou de rapporteur. Il sert aussi de deuxième sexe, comme il est dit dans certaines tribus d’Afrique, et reçoit la semence, en même temps que le verbe. Il devient alors principe créateur.
Comment ignorer cette intimité de tous les instants, alors que nous cherchons le silence.
Le silence, celui qui donne à entendre…dans le brouhaha environnant.
Cette spirale serait-elle en nous la représentation de notre évolution, personnelle, et peut-être même celle de l’humanité ? La clé pour répondre aux questions : d’où venons-nous et où allons nous ?
Je trouve cette idée plutôt jolie, donc, je la garde.
Les hommes ont leur spirale à l’intérieur, et l’escargot à l’extérieur !
Celui-ci arbore une coquille spiralée du plus bel effet, de couleur différente selon les saisons. Dernièrement,il m’a semblé qu’elle était bleue, mais il ne faut pas se fier toujours à ma vision des choses. Il nous parle ainsi de sa force,de son feu , de sa permanence dans le mouvement, si lent soit celui-ci. Il montre ostensiblement le yin et le yang, qu’il possède déjà à l’intérieur. Il montre l’alternance du bien et du mal, avec ses spires régulièrement striées.
Il dit tout, sans la moindre cachoterie, et propose sans cesse , lentement, à chaque saison, avec obstination, la lecture de l’œuf du monde, pour que l’homme puisse garder ses repaires, et construire lui aussi sa coquille. Je ferai bien la mienne multicolore.
Il ne connaît pas les philosophes, c’est pourquoi il n’en parle pas, mais je l’observe depuis longtemps, et je me demande s’il n’est pas le plus grand philosophe de tous les temps. D’ailleurs, son glyphe est largement représenté,de tous temps, de l’Est à l’Ouest, et du Nord au Midi, sur toute la planète, pour ne pas dire dans tout l’Univers.
Quant à moi, devant cet animal si modeste, humide , silencieux, et néanmoins comestible, je regarde, j’écoute et j’essaie d’entendre..
Christine Bicrel